"UN MOIS EN AUTOMNE"


31 POCHADES de COURTEAU
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LA POCHADE


Le dictionnaire nous informe que la pochade est « une peinture exécutée rapidement, en quelques coups de pinceau, ou une œuvre littéraire sans prétention, écrite rapidement. »

C’est ce que je vous propose exactement.

Chaque jour du 15 septembre au 15 octobre 2008 aura vu sa pochade; peinte et écrite.
Parce que les deux sont mes passions, et qu’après trente-six ans à privilégier le pinceau, la plume réclame aussi un peu d’attention! Ainsi, je tiens une promesse longtemps négligée à celle qui m'en a donné l'amour, à l'heure du départ de celui qu'elle a déjà aimé.

J’ai réellement su ce qu’est une pochade réussie la première fois que j’ai vu une exposition de Tom Thomson, du groupe des sept.
Et je maintiens encore à ce jour qu’il est le Maitre Absolu de cet art.


C’est donc avec beaucoup de gêne que j’ose montrer ici mes propres esquisses!


Mais j’ai tellement de passion pour ces petites peintures qui si souvent hurlent là ou leur grandes sœurs murmurent…

Parce qu’elles sont faites au moment même de l'atteinte à l’âme , quand la tête n’a pas encore eu le temps de se mêler des affaires du cœur…

Et pourquoi ai-je choisi l’automne pour écrire ce journal intime, alors qu’il est notoire que ses éclats spectaculaires le sont moins pour le daltonien que je suis qu’ils le sont pour vous?
Il ne fait pas trop chaud, pas trop froid, il n’y a plus de moustiques! Alors le motif devient tellement plus confortable à visiter, que ce soit de la plume, du crayon ou des pinceaux!
Et aussi parce que tous ces rouges et ces oranges que je croyais ne pas voir, se sont invités doucement avec les années et arrivent maintenant à me charmer…

La peinture est un apprentissage; l’œil s’éduque.


Alors voici un mois en automne, sans prétention.
Puissiez-vous y lire ce que vous ne verrez pas, ou y voir ce qui m’aura rendu muet!


Jean-Louis Courteau


(Ce mois passé à peindre et à écrire correspondait aussi aux derniers jours de mon père, dont la maladie à corps de Lewy emportait l’esprit pendant que le cancer lui coupait le souffle.
Deux agonies, deux morts terribles...
Était-ce pour moi une évasion, une fuite?
Ou au contraire une volonté de vivre pour deux l’instant présent le plus intensément possible?)












15 septembre



PROFUSION





Fin aout, début septembre; les champs et les terrains vagues s’emplissent de fleurs sauvages.


Les jaunes, bleus, mauves, roses et blancs déferlent et se bousculent comme s’ils avaient à vendre leur beauté pour survivre.

Même les oiseaux ne se trouvent plus assez de ciel!

Les froids arrivent, les nuits allongent, tout respire le changement, l’urgence de dire ce que l’on a à dire avant le grand silence blanc…

Le moment ou jamais de lui murmurer qu’on l’aime…

Le plus beau temps pour peindre, quand les chaleurs sont finies, que les moustiques ne se collent plus à la toile, mais qu’il est encore possible de s’assoupir au soleil une fois la pochade achevée!

Et ça sent les pommes, et le sucré des épinettes, les granges pleines de foin…
Les tartes de ma tante et de ta cousine les seins.
Le bonheur et l’effervescence…
L’abondance et la profusion…

16 septembre



SUR LE RANG IV



Bien avant la couleur, c’est la lumière qui change…
Elle perd de son épaisseur, de sa densité, devient plus froide, moins tolérante.

Comme si sachant qu’elle avait de moins en moins de temps; elle cherchait plus fébrilement à tout voir avant le soir.

Là où elle était il y a quelques semaines encore un pineau capiteux et sirupeux; elle est maintenant sancerre frais et presque acide.


Faites les conserves sur le feu dehors alors que volent en mariages les étourneaux : le grand sommeil va venir…

17 septembre


LES CITROUILLES À ST-JOSEPH DU LAC



Les grands rangs m’ont mené aux citrouilles aujourd’hui!
Au milieu du pays des pommes!

Les femmes vendent les légumes au chemin, ça sent les épices à conserves, la promesse des tartes chaudes après une journée à rentrer le bois.

J’ai marché au champs parmi les courges, et leur orange sous le soleil de fin de journée semblait irréel…

Ça et là , on avait empilé des citrouilles comme des inukshuks…

Je sais que ce sont eux
Qui empilent les citrouilles

Je les ai vus ce matin
Revenir en courant échevelés
Repasser fébriles de leur mains
Leur tabliers tachés

Et vite avant que le soleil n’arrive
Prendre place au jardin
Étendre les bras ouvrir les mains
Froncer les sourcils aux grives

Je sais que ce sont eux
Qui empilent les citrouilles
Se font de mes peurs un jeu
Je sais ce qu’ils magouillent

Je les ai vus ce matin
Les grands épouvantails
Et cette nuit ou que j’aille
Je me cacherai en vain


Demain j’aurai un cœur de paille

18 septembre


BREAK




Un de mes voisins.
Je l’ai surnommé Z.Z.Pop.

Affectueusement; pas pour rire de lui, j’ai trop d’admiration pour ça…

C’est seulement qu’il a une barbe incroyable, comme son fils, qui habite avec lui ce que les bien-nantis du village appellent un taudis et voudraient bien voir disparaitre de leur univers.

Ils coupent du bois.

En fait c’est le fils qui coupe. Le père, lui, passe ses journées à corder tout ça près du chemin, pour les prochains clients.

Il est sourd, et n’y voit plus très bien, et ses 80 ans bien sonnés lui accordent le droit à quelques « breaks », qu’il prend assis sur sa galerie à regarder passer les autos, flatter le chien, et offrir une pomme à l’occasionnel chevreuil qui s'approche sans peur.


Il est magnifique.


Que les bien-nantis-mauvais-pensants du village et de ce monde aillent au diable.
Quand ZZPop commence à corder; c’est vraiment que l’automne est arrivé!

19 septembre


LE GRAND RANG À ST-HERMAS






Il me prend à chaque automne, je ne sais pourquoi, d’aller lentement conduire sur les rangs de campagne ombragés des derniers chênes.

Si les insulaires ont un caractère propre à eux, bien différent des  continentaux; il en est de même des habitants des Grands Rangs.

On ne pense pas de la même façon quand le monde est linéaire…

Quand Alfred est à gauche, Normand à droite, et que jamais ni derrière ni devant personne ne prendra la place de l’épouvantail ou de la croix de chemin.

On pense comme le temps se déroule et quand vient le soir, la lampe n’éclaire pas le vieux papier-peint bien longtemps…

Et la nuit, même les songes se mettent en rang.

Et si d’aventure un cauchemar venait menacer un dormeur, il serait vite fauché.
Pas de quartier pour les méchants.

20 septembre



POINTE MISÉRABLE




Quel drôle de nom pour un lac!

Je vais être franc; j’étais sur un lac voisin ce jour-là, inspectant ses eaux pour une future plongée.

Mais le Lac Des Misérables existe vraiment!

Les épinettes mortes et grises, sans doute cuites par la réflexion du soleil sur le cap rocheux, m’y ont fait penser…

Quelle fabuleuse histoire se cache derrière un tel nom? Quelle épopée ce devait être de rejoindre ce lac en portageant le canot pendant des heures!

Venait-on y pêcher la truite? J’en ai pris quelques-unes ici, et des belles…
Venait-on chasser l’orignal près de la Grand’Pointe, là ou je peux aisément m’imaginer le buck majestueux sortant au « call », l’automne et l'urgence pulsants dans ses veines?…

Je me dis qu’il faudra que quelqu’un un jour écrive un beau grand livre plein d’images, sur les origines des noms de lacs du Québec. Toute une histoire racontée par ses eaux…



Ses eaux pour lesquelles on se battra bientôt…

21 septembre



LE TOURNANT




En virant cette pointe, je verrai la baie ou j’ai mis le canot à l’eau.

Il est temps de repartir; le soleil baisse déjà, même s’il n’est pas tard. Un peu de portage, et une longue route pour sortir du bois.

Le cœur me serre, devant cette pluie de lumière dans la baie, ses couleurs qui changent, l’automne qui marche à grands pas maintenant…

Comme ce serait bon de pouvoir baigner dans cette lumière et ces couleurs, les savourer les yeux mi-clos, si tout cela n’annonçait pas le terrible hiver…


Je n’y peux rien; il en a toujours été ainsi pour moi. L’hiver me tue, un peu plus chaque fois, comme il assèche les os des vieux loups, comme il abat les grands pins centenaires, seigneurs des montagnes...

Je ne peux souffrir de savoir que bientôt l’eau gèlera,

et mon sang un peu aussi……….

22 septembre



LES GRANDES VOYAGEUSES



Bien sûr! Les outardes!
Y a-t-il meilleur emblème de l’automne?

Mais elles sont bien tôt de passage, cette année…Que se passe-t-il dans le grand Nord?
J’aurais pu le voir de mes yeux, dans une expédition au Labrador avec mes amis de la Georges. Mais un mal de dos chronique, souvenir d’une hernie discale il y a quelques années, m’ancre au sud…


Et mon père qui meurt doucement…


Entend-t-il les Voyageuses, par la fenêtre de l’hôpital, passer en grands V au-dessus de lui, au-dessus de sa maladie, portées par les vents d’un espoir qu’il ne peut plus avoir?

À travers ses chasses, ses propres expéditions dans un Nord qu’il m’a appris, il les a aimées autant que moi, parfois à en pleurer quand elles jappaient au-dessus du vieux camp…

Volez mes grandes amies.

Volez et emportez le souvenir de mon père avant que la maladie le lui vole; qu’il découvre avec vous vos horizons infinis…




C’était un pilote lui aussi…

23 septembre



CUMULUS



L’air froid arrive, derrière les outardes.

Les nuages vont s’étirer en lambeaux, comme des déchirures de linceuls emportées au vent...Ils vont devenir livides, diaphanes.

Les ombres d'’eux-mêmes…

Les grands cumulus fiers et imposants suivront les vents chauds, portant leurs orages et leurs couchers dramatiques vers le sud.

J’ai vu de ces nuages gigantesques au- dessus du Baskatong, prendre le soir les oranges et les safrans du soleil couchant et les décomposer en une multitude de tons impossibles, spectacle fantastique de géants enflammés…

Quelle angoisse pour le peintre que de les affronter en combat singulier, armé de trois ou quatre couleurs alors que l’adversaire en crée de nouvelles à chaque seconde!


Comment faisais-tu, Tom?!

24 septembre


L'HEURE DU BUCK



L’année passée, il n’avait que deux pointes au panache.
Mais elles étaient anormalement longues.
Cette année, il en a six.

Nous l’avons vu Nikkie et moi un soir, en prenant une marche autour du lac. Lui si secret d'habitude; il marchait en plein soleil devant nous, comme pour nous faire visiter son domaine!

J’étais bien content de le revoir. Il a une personnalité bien à lui. Fier et sûr de lui comme un vieux buck, mais doux et discret avec les petits, quand ils viennent à la mangeoire.

Lui n’y vient que très rarement. Ou en tous cas; pas quand on regarde!
Mais je sais qu’il aime bien cette clairière, près de chez le voisin. Elle est bordée de jeunes érables carmins maintenant…

Peut-être le reverrai-je ce soir…
Si lui ne me voit pas déjà!!!

25 septembre


JAZZ!




Je m’imagine souvent entendre les couleurs plutôt que de les voir…

Les basses des terres et des carmins, les hautes des bleus ciel et des gris, les ballades des jaunes et la pop des verts…
Puis arrive l’automne et tout craque et s’allume, scintille et flamboie; c’est New-Orleans et le Mardi Gras, c’est le Jazz dans la rue!Et alors que marche la fanfare, un geai bleu traverse un chemin de bois devant de jeunes érables prétentieux,
sous les hons! des outardes barytons,
et les troglodytes s’époumonent à faire valoir leur minorité,

et si alors on entendait un enfant rire et son chien aboyer;

ce serait la fête pour de bon!

Et Miles Davis boit avec Jimmi

Et Sarah Vaughn s’approche du Roi Lézard
Et en un couplet elle le séduit

Et Janis sourit en écoutant Mozart

L’automne c’est le Jazz!


Et si je le vois moins bien que vous; je peux quand même l’entendre!

26 septembre



LA CHALOUPE ROUGE




Je suis allé marcher avec ma sœur et un ami le long du lac en bas, au village.
Près de la vieille église, une chaloupe peinte en rouge est ancrée. Elle est toujours là. Toujours ancrée.

Elle est comme un vieux labrador que plus personne n’emmène marcher. Et comme lui, elle ne se plaint pas et reste coite, même si sa nature lui commande le large.

Ou elle est comme tant de gens, qui trouvent une petite baie confortable, ou il ne vente jamais trop fort, et s’ancrent à vie, préférant une longue existence à une vie remplie…

Elle est comme moi souvent, quand je me dis qu’il est sans doute trop tard pour partir, que je ne le pourrais pas, que peut-être je mourrais là-bas, et qu’alors je préfère agoniser ici…

Elle est comme mon père, attachée là de force.

Pourquoi refuse-t-on si obstinément notre nature et le cadeau incroyable de l’éveil?
Comment peut-on se croire immortel quand tout nouveau jour est aussi une menace?

27 septembre


LES PAYS D'EN HAUT



Les Laurentides que j’habite, c’est avant tout au moins six mois d’hiver. Et je hais suprêmement l’hiver et le froid…
Puis c’est le printemps. Là ça va! L’eau qui ruisselle partout, les odeurs de terre et de foins mouillés qui ondulent dans l’air entre les volutes de fraicheur, les outardes qui reviennent et le gout de la pêche…

Hélas; ça ne dure pas, et arrivent en force des armées plus voraces et terrifiantes que les neiges: les moustiques!
L’été s’installe, superbe quand il ne pleut pas trop comme cette année, et on s’en fait voler une bonne moitié par ces vampires ailés insatiables.

Mais il reste le mois d’aout avant l’automne; une perle. Savourons-le! Courons, nageons, fêtons, dansons…

L’automne arrive…Bien court lui aussi, malgré sa splendeur…
Et en dépit de tout ça; je les aime ces saisons!


J’aime le Nord…

Peut-être justement parce qu’il n’est pas facile, jamais complètement domestiqué, toujours un peu dangereux…

Malgré les attaques soutenues des hommes et de leurs centre-d’achats; il est toujours libre...

28 septembre



1881




J’y vais souvent.
Un tout petit marais; à peine plus qu’une grande flaque d’eau sur le parcours d’un ruisselet le long du sentier du lac.
Trois pieds d’eau au plus profond, d’une eau noire comme celle que les colverts et les becs-scie couronnés aiment bien.

À l’autre bout, il y a un petit barrage de ciment. Je m’étais toujours demandé pourquoi quelqu’un s’était donné la peine de venir en plein bois couler ça!

Et voila qu’hier j’ai remarqué cloué à un arbre un tout petit écriteau montrant une illustration d’un gros moulin à scie et des canalisations de métal qui le fournissaient en eau en 1881.
Juste ici, à mes pieds!
Sur la vieille photo, il n’y a pas de forêt, et des hommes s’affairent autour du grand bâtiment.
Si je relève les yeux; je vois un petit marais, et les ondes courant sur l’eau laissées par l’envol des canards.


Je crois qu’au risque de passer pour totalement cinglé aux yeux des promeneurs occasionnels; je reviendrai avec masque et tuba, voir quelles histoires je peux lire au fond…

29 septembre



LES COULÉES D'OR



Il y a près de chez moi un endroit magique.
C’est un ravage à chevreuils, l’hiver.

Et l’automne, les gens qui habitent près de là vont souvent marcher dans les chemins de bois, voir les couleurs et l’occasionnelle biche.

Mais si on quitte les chemins et qu’on emprunte les sentiers secrets des chevreuils, qu’on trouve facilement, et qui descendent la montagne; on trouve une oasis d’or.

Deux ruisseaux se rejoignent à cet endroit et forment un petit lagon à l’ombre des hêtres et des quelques sapins qui ont échappé au broutage d’hiver.
De petites truites y fraieront très bientôt sans doute, et le bruit de leur bonds hors de l’eau fera bouger les oreilles nerveuses des faons à la livrée maintenant unie.


J’adore cet endroit, que je me plais à croire inconnu du monde.


Faudrait bien que je vienne y dormir, une nuit. Qui sait quelles fées ou sorcières y dansent sous la lune?…

30 septembre



AU PIED DE L'ARBRE



Certains endroits nous appellent si clairement, pour peu qu’on soit le moindrement attentif, qu’on dirait qu’il nous frôlent de mains invisibles.

Qu’ils nous ont de tout temps appartenu, ou nous à eux…

Certains arbres sont faits pour qu’on s’assoie sous leurs branches, et leurs cimes dirait-on, font le guet pour que notre méditation ne soit pas dérangée…

Celui-là est près du ravage.

Quand vous vous y installez, en quelques respirations seulement déjà vos pensées deviennent une feuille de hêtre flottant et errant lentement, puis elles disparaissent au détour d’un méandre et vous connaissez la paix.


Et si vous vous laissez vraiment aller; le sommeil vous prend et c’est dans ces ors et ces oranges chauds que les arbres vous bercent et tentent de vous rappeler à travers les songes que c’est ici que vous habitez vraiment…

1er octobre


LE TORRENT




Coulent roulent déboulent
Entre troncs et rocs
Et grondent et entrechoquent
Les eaux sont saoules
Courent et descendent
A leur cou les jambes
Les vagues fuient
Affolées jour et nuit

Fuient sans s’arrêter
Fuient le danger
Fuient vers la mer
Fuient sans se douter

Que c’est en bas
Que se jettera le sort
Qu’alors sans voix
Le torrent sera mort

2 octobre



CASCADE




J’ai toujours été fasciné par ces cascades dans le bois, ces ni-ruisseaux ni-rivières aussi hypnotisant à regarder que la danse des flammes d’un feu de camp.

Quel monde se cache dans ce réseau de ruisselets, derrière tous ces cailloux?


Ici une petite truite attend sa prochaine bouchée ondulant paresseusement à l’abri du courant; là un triton se glisse humide dans une micro-caverne…
Des feuilles mortes jouent dans les glissades d’eau, un troglodyte s’approche à petits bonds pour boire et cache sa nervosité sous un chant que les gargouillis et cascatelles s’approprient…
Les nymphes grouillent au fond et remontent bientôt pour passer des abysses aux cimes armées de nouvelles ailes…


Et quand arrive l’automne, quelquefois, un couple d’amoureux vient s’asseoir sur le grand rocher, et se murmure des promesses qu’emportent en riant les flots…

3 octobre


LA TEMPÊTE




J’aime quand la matière elle-même devient le sujet…Je veux dire; quand la peinture épaisse et juteuse, à force d’être brassée, étendue, spatulée, « onctuée » dans tous les sens, devient par ses propres accidents le trompe-l’œil d’un ciel, d’un tronc, d’un rocher…
En fait, c’est à ce moment, si rare, que la vraie magie opère.

Quand le sujet n’est pas voulu, dessiné, pré-pensé, contrôlé; mais apparait né du chaos comme ça se passe dans la réalité.
Quand il n’y a plus de frontière entre figuration et abstraction. Quand on comprend que l’un doit être la voie vers l’autre
Rien de ce que l’on contrôle ne peut aspirer à se dépasser, surtout pas soi. Il faut que l’animal vive et grogne, hurle et murmure, il faut que le cœur mène le bal.
Et il le fait en laissant voler les rennes!
Le tableau sort quand on ne cherche plus…


 Picasso ne disait-il pas : « Je ne cherche pas; je trouve! »?

4 octobre


CHEMINS D'OCTOBRE




Je triche !Je suis à la galerie, et j’ai un vernissage aujourd’hui.
Je ne marche pas dans ce chemin inondé ou se mirent les arbres gênés de leurs apparats, tous surpris de ne pas se reconnaitre.
Où s’envolent de temps en temps dans un fracas nerveux une gélinotte que lorgnait un renard.

Mais c’est là que je serai demain, au pays du grand Baskatong, et ce sera bon.

Je connais tous les sentiers là-bas…

Certains vous accueillent grands ouverts et le bruissement des feuilles sonne comme les cliquetis des bijoux dans une soirée mondaine.
D’autres vous invitent mais à condition.
Pas de frivolité ici, pas de cent pas lunatiques; l’ours y passe et le loup y tient auberge…
Et enfin; quelques uns vous sont interdits, et ceux qui s’y sont risqués imprudents y errent toujours, ectoplasmes tristes et loques fantomatiques, leur barbe s’accrochant aux branches et y laissant clair message pour qui sait le lire :
« Ce pays n’est pas à profaner…Si l’on brûle la maison de la Mort; elle ira chercher asile chez vous. »

5 octobre


BASKATONG




Le Baskatong et le Piscatosine. « Lac aux eaux pliées » et « Lac aux eaux profondes ».
Je connais ces lacs immenses depuis mon enfance, et mon père les a pêchés avant moi. Ils sont les océans de mes premières années.

Ils étaient alors bien plus sauvages, et les grands brochets du nord qui y nageaient hantaient les rêves des braves qui entreprenaient le grand voyage.

Je campais souvent sur une ile du Baskatong, avec Phil et Roch, mes Frères Blues. Nous avions baptisé quelques iles trop petites pour intéresser les géographes, mais de vastes territoires à explorer pour les enfants que nous étions.
Enfants…Même avec la barbe grise au vent!…

L’Ile Folle; à cause d’un grand pin tordu qui se détachait contre le ciel du soir comme un ermite hirsute les fers en l’air!

L’Ile aux Vents; puisque toute nue sans le moindre arbrisseau, il y ventait tout le temps quand nous allions y voir le coucher de soleil en vidant à la santé de notre monde une ou deux bouteilles…

Et l’Ile Blanche…La plus magique de toutes. Blanche puisqu’elle était de toutes les couleurs. Blanche puisque c’est là que je me baignais et qu’autant que mon corps, c’est mon âme qu’il me semblait purifier des puanteurs des villes et des hommes….

6 octobre



PERDRIX



Les feuilles se raréfient déjà, en bordure des chemins de bois à Fontbrune.
Je suis venu à la pourvoirie de mon ami Éric pour y guider Bill, un chasseur américain, dans son pèlerinage annuel à la perdrix et aux canards.

C’est maintenant ma chasse préférée…

J’adore marcher lentement dans les « chemins d’bois », humant cette odeur si particulière de feuilles mortes. Les aubes sont froides, souvent gelées, puis quand le soleil se lève et apporte un peu de chaleur, les oiseaux sortent, nerveux.

Plus tard , vers 10 heures, il fait franchement chaud, et les coteaux ensoleillés invitent à la sieste sur le matelas bruissant et multicolore. Les heures passent lentes ensuite, puis s’accélèrent vers le crépuscule, sous les cris des outardes qui voleront toute la nuit.
Et on se couche fatigué, à marcher toute la journée…


Dehors, les perdrix accrochées promettent le bon vin et la fête, des amis tout l’tour de la grand’ table…

7 octobre



LES CHAMPS DE FERME-NEUVE




Ferme-Neuve, dernier village avant le Baskatong…
L’endroit m’a toujours fasciné. Construit sur les rives de la Lièvre, il est entouré des champs des cultivateurs, envahis en octobre par les faisans d’un milliardaire du village voisin qui organise des chasses pour ses clients et amis.

Imaginez un peu ce que c’est que de revenir de la chasse à l’orignal à des heures au nord, fourbu et les cheveux en bataille, après des jours à n’entendre que le vent et la pluie ou l’occasionnelle meute de loups, et croiser sur le chemin du village cinq ou six top modèles se baladant au soleil d’après-midi!

Mais bien avant que Tommy ne s’installe dans la région, le village était magique…

Beaucoup plus.

Quand j’avais une dizaine d’années et que mon père m’emmenait « au camp »; nous nous y arrêtions manger un hot-dog et une frite. Et alors que nous mangions dehors sur la « table à picnic », et que mon père et mes oncles discutaient de pêche à la grise , de chasse au gros buck ou autres activités de grands auxquelles je n’étais pas convié; moi je trépignais d’impatience de me rendre pêcher la petite truite de ruisseau à la charge du lac et d’aller ensuite porter mes prises à la nage aux loutres rieuses qui je le savais m’attendaient aussi.

Aujourd’hui, quand je traverse le dernier champs en route vers Fontbrune ou le Baskatong, et qu'y soufflent les grands vents d’automne; quelque fois je m’arrête et ferme les yeux, et cherche dans l’air les essences de mon enfance…


À travers le parfum des top-modèles!

8 octobre


L’ŒUF DE PIERRE




Mais d’où sort-il, ce gros œuf de pierre, déposé là près du grand marais aux bécasses?
Quel gigantesque phœnix farfelu est venu le pondre?!
Il faut marcher une bonne heure encore, rendu au bout du maitre-chemin, le soleil à l’épaule gauche, pour arriver ici. Une heure en pente douce avant de tomber dans les grands aulnes ou se cachent les bécasses en migration, puis dans la savane qui borde les eaux peu profondes ou se reposent les oies.
Et nulle-part dans tout ça on ne voit le moindre caillou, le plus petit affleurement rocheux.


Sauf l’œuf!


Je l’ai peint une autre fois, avant cette fois-ci. En plein soleil d’août, pleine canicule, un après-midi à cigales ou on avait décidé d’aller peindre les copains et moi, pour cuver un peu le vin de la veille!
Je me disait déjà à ce moment, qu'on se ressemblait un brin, la pierre et moi.

Échappés par hasard dans un pays étranger ou il faudrait se cacher un peu pour ne pas trop détonner…Alors je me laisserais pousser la barbe, et elle la mousse, et on éviterait de trop parler, on laisserait passer les années…
C’est drôle elle ressemble un peu maintenant à un globe-terrestre.

Et je peux y lire les souvenirs de mes voyages.
Et une épinette a poussé dessus, comme si elle avait voulu grimper là pour voir à l’autre bout du chemin s’il en vaut la peine…

Peut-être partiront-ils ensemble un matin,
l’œuf et son sapin,
marcher voir ailleurs
trouver les leurs…

9 octobre


L'ILE À NORÉ



Honoré Michauville.
« Noré », pour les intimes…
Le problème; c’est que Noré n’avait pour intimes que mon père et ses frères, si on exclut les loups, orignaux et chevreuils du nord de Ferme-Neuve!
Enfin; ça n’était pas un problème pour lui.

Honoré Michauville avait vécu sur cette ile du lac Major toute sa vie, et son père avant lui. Et ses arrières grands-parents jusqu’à Sitting Bull, s’il fallait l’en croire!
Car il répétait à quiconque voulait l’entendre, quand une fois par mois il allait boire au village, qu’il était « indien ».
Le reste du temps; il chassait et pêchait, seul parce que son ile était trop petite pour « chiquer ‘a guénille »,disait-il.
Mon père m’a tant de fois raconté les aventures de ce grand gaillard! Et rien ne me fascinait plus…

Comme cette fois où il était venu les rencontrer à l’orée du bois au village pour aider « Jack » et ses frères à transporter des matériaux pour le nouveau camp. Il s’était chargé le dos d’un immense sac, sur lequel on avait ensuite déposé un rouleau de papier à couverture. Puis il avait saisi de sa main gauche le moteur de la chaloupe et pris dans sa droite sa vieille .22, et s’était mis en marche…Pour très vite disparaître loin en avant des autres, pourtant à moitié moins chargés.

Et soudain le coup de feu!

Mon père avait tout lâché, et s’était précipité au secours de Noré, persuadé qu’il avait trébuché et s’était blessé…
…pour trouver l’indien debout à coté d’un chevreuil mort, le moteur toujours à la main gauche, la .22 fumante dans la droite,


et le sourire fendu jusqu’aux oreilles!

10 octobre


LE GRAND MARAIS



Est-ce parce qu’on y reconnait le berceau de la même vie qui coule en nos veines que ces étendues d’eaux tranquilles nous fascinent autant?
Quelles mémoires organiques s’éveillent en nous quand on distingue sous le film noir de l’eau le mouvement d’un de ses habitants mystérieux?

Peu d’endroits vous révéleront autant de secrets et de beautés…Glissez-y silencieusement en canot, quand la chape de plomb du soleil d’été ne l’a pas encore paralysé à midi, mais que les brumes de l’aube se sont levées.
Assistez aux chasses des hérons zens, ou de la grande aigrette, Galadriel de ces lieux…
Attendez votre tour avec les sarcelles au buffet qu’ont envahi les colverts irrévérencieux…
Asseyez-vous aux premières loges pour le concert du vol des demoiselles, du bruissement des hautes feuilles de quenouille, de la basse des butors discrets…

Mais attention!
C’est ici que vivent les sylphes et naïades qui furent la perte de plus d’un Roi!
Qu’adviendra-t-il de vous lorsque vous aurez frôlé leurs bras et répondu à leurs appels?

Ou vieillirez-vous sinon loin là-bas, en dessous…?
Puisque si ces eaux sont celles-là même de votre baptême; elles seront aussi celles de vos mémoires…

11 0ctobre


RANG GRAVEL




Je quitte Le Baskatong une autre fois.

Si ces départs m’étaient atrocement douloureux il y a 20 ans, ils le sont bien moins aujourd’hui…

Quand j’étais enfant; c’était le Grand Nord qu’on trouvait au bout de ce chemin!
L’Aventure, le danger, les loups, quelques ermites gentils comme Noré mais aussi BeuBlanc l’ogre, et les labyrinthes des sentiers de coupe…
Il y avait au bout du Gravel la promesse de pêches miraculeuses, de trouvailles de pierres précieuses, il y avait mes loutres et mon castor, et l’orignal aux grands cils qui venaient nager avec moi…
Une certaine année, alors que sans que je le voie venir BeuBlanc m’avait ravi l’enfance; j’y ai même trouvé l’amour…

Les années ont passé, le Grand Nord a reculé…
Maintenant quand je quitte mes bois; j’arrête à l’entrée du Gravel chez l’apiculteur et je lui achète un peu de son hydromel liquoreux.


Il a le parfum de la magie…

12 octobre


LA COUPE



Saviez-vous que si l’on trouve maintenant si peu de ces magnifiques oiseaux nommés Grands Pics; c’est entre autres qu’il ne reste plus dans nos forets d’arbres assez gros pour qu’ils puissent y creuser leur nid?!
Dernièrement, je me suis mis à la rédaction pour un organisme français de la fiche scientifique du poisson-chirurgien bleu.

Au bout de seulement quelques jours de recherches; j’avais appris la relation qui existe entre le maintien de la santé des récifs coralliens, le réchauffement planétaire, la transmission par les grands carnassiers d’une maladie mortelle pour l’homme, la prolifération de ces carnassiers vu l’hécatombe des requins pour de la soupe en orient, …et ce petit poisson bleu caricaturé dans « Némo »!!!
Comment peut-il coexister en l’homme assez d’intelligence pour découvrir à quel point tout est intimement relié dans la nature, et assez de stupidité pour s’en croire exclus?
Mais au fond; ça n’est pas si grave…
L’homme et le monde qu’il a connu disparaitront inévitablement.



Mais pas la Nature.

13 octobre


LES OUTARDES




Encore elles!
C’est qu’elles ne nous lâchent pas, ces temps-ci!
Remarquez; elles ont aussi leurs problèmes! Plus assez de nourriture sur les aires de nidification dans le Grand Nord, entre autres parce que leurs cousines blanches sont beaucoup trop nombreuses.

Mais surtout parce que depuis un siècle ou deux; avec tout le maïs que nous faisons pousser partout le long de leur voie migratoire, elles arrivent aux nids bien grasses et en santé; ce qui fait croire à leur organisme que tout va bien, la table est mise, pondons tout ce que nous pouvons pondre : il y a abondance!
La dernière fois qu’un phénomène semblable s’est produit; la population d’oies des neiges était passée de plus d’un million à moins de 20,000.

En une saison! Grâce à l’outil de nivelage généralement employé par la nature dans ces cas: le choléra aviaire.
Des fois je me dis qu’il vaut peut-être mieux que je ne parle pas outarde…
Ça ne doit pas être jojo, ce qu’elles nous jappent en passant!

14 octobre




LE SPOT À NOIRS





Des canards noirs, je veux dire…
Non non! Il ne s’agit pas ici d’un autre billet écologiste!
Vous entendiez déjà en votre esprit cette petite musique bucolique qu’on nous servait avec les interludes du Service Canadien de la Faune à la télévision?!
Oui, les noirs aiment bien ces petits marais aux eaux sombres et acides qu’on trouve partout dans les forets du Nord.
Mais pas autant que moi!

D’abord parce que, Dieu me pardonne; les magrets de canard aux groseilles, c’est vraiment bon! Puis parce que faute d’oiseaux; ces étangs secrets foisonnent de petites truites de ruisseau, lesquelles servies avec des chanterelles et une Mère Soleil, ont cette particularité étrange de vous rendre heureux! (Les magrets, eux, je les sers avec un bon petit Amarone…)

Et enfin parce qu’il n’y a pas plus riche motif pour une pochade…
Ou un poème.

Les joncs balayés par le vent, qui font pleins de vvvvv, de ffffffff et de sssssssssss…Les barytons des noirs-verts des eaux cachées aux pieds des arbres morts. Les ttttttt et les kkkkkkkk des branches sèches….Et les accords en mmmmmmm des passages de nuages dans l’eau.
Les petits marais sont des festins en 8 services pour les sens épicuriens.


Et je suis gourmand!

15 octobre




PLUIES D'OCTOBRE



Ça y est presque...

Il gèle un peu le matin, les grands vents sont descendus derrière les voiliers d’outardes, les feuilles ont quitté les branches par pleines brassées…
Les nuages de ce gris si particulier des jours où moins de couleurs sont offertes par les bras tendus des arbres vont arriver incessamment.
Ce gris que même les citadins reconnaissent…
Le gris des nuages de neige…

Comment faire pour aimer l’hiver???
Comment voir autrement ce temps assassin qui tue les vagues, qui endort tout puis le recouvre mort-vivant d’un linceul faussement blanc sous les hurlements de douleur des vents du Nord?
Je n’y suis jamais arrivé.

Bien sur, certaines journées, quand l’hiver est hypocrite et que le ciel mimique les couleurs des mers, je le peins et y prend même un certain plaisir…Mais cette blanche faucheuse ne m’a jamais amadoué!
Je suis un être d’eau, de vents chauds et d’odeurs de terre.
Je suis un oiseau plongeur, un troglodyte des mers, un pirate immortel, un voyageur assoiffé…
Je ne peux pas geler, tomber, casser.
Je ne peux pas arrêter…

Vous comprenez; entre les promesses des printemps et les offrandes des automnes, je cours, vole et plonge comme un été saoul…

Ivre de vivre.
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"Un mois en automne" est dédié à
Norma Touzin et Jean-Jacques Courteau.
Ma mère et mon père.
La plume et le pinceau.